lundi 24 octobre 2016


La Musique en trois tableaux

Tableau 1





Ses doigt lentement s'animent sur le manche de la guitare, il pince une corde et une note cristalline s'envole et monte vers le ciel, le silence qui suit en appelle une autre, beaucoup d'autres. Son visage est calme mais son regard est déjà ailleurs, dans un pays de soleil et de ciel bleu. Une seconde note s'égraine et semble exploser telle une bulle de savon. L'auditoire recueilli et impatient attend la suite. Un silence quasi religieux règne dans la salle. Puis tout à coup les accords s'enchaînent, le guitariste semble entrer en transe. C'est un déchaînement, ses doigts courent sur les frètes à une vitesse prodigieuse et nous emmènent aux confins sud de l'Espagne au pays des corridas, des processions, et du flamenco. La musique nous transporte vers ces terres arides, alternant pauses et accélérations soudaines.
De fringants cavaliers aux costumes ajustés sont là devant nos yeux. Ils font virevolter au son des castagnettes de fières andalouses au regard de braise ceintes de robes aux couleurs chatoyantes. La foule est subjuguée et des « olé » ponctuent les envolées et les arabesques des tissus soyeux, les talons martèlent le sol dans un ballet millimétré, les tambourins apportant du relief aux différentes phases, les éventails s'ouvrent et se ferment en cadence. Le public trépigne et applaudit à tout rompre les figures les plus représentatives de ce dialogue. Il se rapproche progressivement des acteurs et n'y tenant plus, pour mieux communier avec eux, se met lui aussi à danser. On ne peut être qu'emporté, on ne peut qu'être ensorcelé par la magie de ce spectacle haut en couleur qui défile sous nos yeux émerveillés.
Petit à petit les danseuses deviennent plus lascives, leur geste sont moins saccadés, plus sensuels puis insensiblement le guitariste nous extirpe de notre rêve éveillé pour nous ramener progressivement à la réalité. Mais quel extraordinaire voyage, quel merveilleux moment !!!




Tableau 2




A Salzbourg, en Autriche, dans le saint des saints de la musique classique où le public retient sa place trois ans à l'avance, les quatre vingts musiciens de l'orchestre symphonique attendent patiemment leur chef. Celui-ci apparaît enfin en redingote et chaussures vernies. Un silence absolu règne dans la grande salle richement décorée de centaines de bouquets de roses rouges qui ornent la scène et les balcons. Il salue le public puis accapare l'attention des musiciens. La pièce peut commencer, pianissimo d'abord avec les violons et les hautbois puis progressivement entrent en scène les bassons et les flûtes traversières. Les notes cristallines de la harpe venant à point nommé ponctuer l'ensemble. Et c'est soudain comme une vague de fond qui donne corps à la pièce avec les trompettes les cors et les cymbales. Le public ne peut s'empêcher de battre silencieusement la mesure emporté par les accords plaqués au piano et la ponctuation des cuivres. Mozart peut être fier de son œuvre qui n'a pas pris une ride en trois siècles. Elle est jouée telle qu'il l'avait conçue sans en changer le moindre soupir. Quel hommage rendu à ce compositeur d'exception qui fera encore vibrer les générations à venir !
Les belles aristocrates tourbillonnent aux bras de leur cavalier dans la grande salle de bal sous les yeux attendris du monarque, organisateur de la fête. L'auteur est là dans les coulisses, discret. Il savoure ce qu'il pense être son savoir faire sans imaginer un seul instant qu'il s'agit d'avantage de génie, d'un génie resté inégalé à ce jour ! La « valse favorite » prend fin pour laisser place à un menuet et à une gavotte, puis la « marche turque » propose quelque dépaysement avant l'entre-acte.
Les applaudissements du public debout viennent confirmer si nécessaire aux musiciens l'excellence de leur travail.
Un quart d'heure passe puis la deuxième partie s'ouvre sur un adagio, suivi de « l'Ave Verum Corpus », de la « flûte enchantée » et d'une « sérénade «  languissante pour enfin terminer la session par « Don Giovani » et mettre fin au rêve éveillé du public. La dernière note égrenée un tonnerre d'applaudissements retentit montrant à quel point des auditeurs ont apprécié ces œuvres mille fois écoutées et mille fois redécouvertes ! Il frappe dans ses mains, tape des pieds et en redemande.
Après quelques minutes de manifestation d'une telle ferveur, il est enfin récompensé par le retour du maestro et la reprise de son morceau favori qui achèvera ces deux heures d'un spectacle intense. Cette fois le chef d'orchestre quitte définitivement la scène croulant sous les bouquets de fleurs. Le public, à contre cœur, quitte lentement la salle en pensant déjà au prochain concert … qui n'aura lieu que dans trois ans !




Tableau 3





Au carrefour de deux tunnels du métro parisien, quelques musiciens et une chanteuse sont là.
Une guitare, un banjo, une clarinette, un saxophone, une batterie et une contre basse compose le petit l'orchestre de jazz. L'accoutrement des musiciens n'est pas très enviable, pantalons déchirés, blousons élimés, bonnets enfoncés jusqu'aux oreilles. Il ne semblent pas voir la foule qui, telle une meute de fourmis se croise en tous sens. Puis sur un signe imperceptible ils commencent à jouer un air endiablé des années quarante, çà tangue, çà swingue dès l'introduction. La chanteuse offre alors au maigre auditoire toute la tessiture de sa voix et entraîne les spectateurs de plus en plus nombreux maintenant, dans les quartiers de la Nouvelle Orléans, dans l'empire du jazz, là où la musique est partout, sur les trottoirs, dans les squares, dans les bars, dans les jardins publiques. Là où se retrouve une foule bigarrée de tous âges et de toutes origines pour se mettre au diapason des musiciens et danser à en perdre la raison jusqu'au petit matin.
Les tubes s'enchaînent Duke Ellington, Sydney Bechet, Mike Davis, Louis Amstrong … un festival ! Soudain la meute de fourmis subjuguée s'est figée, quelle importance d'arriver au bureau avec un quart d'heure de retard ? On bat la mesure, on se déhanche, spontanément des couples se forment et se lancent dans des rocks endiablés. La foule compacte côtoie dangereusement le ballaste, chacun veut sa part de rêve avant de retrouver la grisaille du dehors. Cette improvisation va au delà de toute espérance, les appareils photo crépitent, des vidéos sont tournées qui, dans quelques instants seront relayées sur moult sites et réseaux. Les sept musiciens parfaitement inconnus l'instant d'avant sortent de l'ombre, une audience internationale leur est offerte. Ne cachant pas leurs joie ils se donnent à fond, encouragés par des applaudissement nourris.
Et voila comment en une matinée notre chanteuse et ses amis sont passés d'un total anonymat à la notoriété, conscients de la fragilité de leur position, mais savourant néanmoins pleinement ce moment de grâce. Nul doute qu'ils auront été repérés par des personnes de métier qui leur proposeront rapidement des contrats à la hauteur de leur talent.
La musique parait-il, adoucit les mœurs mais elle peut aussi accomplir des miracles !

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