Conte
de Noël,
Il
était une fois un vieux couple de SDF qui vivait sous un pont de
Garonne. Leur abri rudimentaire était composé de vieux cartons et
d'un bric à brac hétéroclite, poussette caddie de super marché
détourné de ses fonctions, vêtements décatis, chaussures trouées
etc...
Dans
la journée ils faisaient la manche ensemble ou séparément et le
soir, leur souper se résumait souvent à un morceau de pain et à un
bout de fromage, le tout abondement arrosé de vin rouge. A vingt
heures ils avaient la langue pâteuse et avaient déjà beaucoup de
mal à s'exprimer mais plus tard dans la nuit, ils étaient tous deux
« ronds comme des queues de pelle». S'ensuivaient des rires
gras et des réflexions grivoises ou alors des scènes de ménage,
parfois violentes. Ils s'en prenaient aussi aux passants et les
couvraient sans raisons de jurons et d'invectives de toutes sortes.
En
cette période de l'Avent ils s'extasiaient sur les habits de
lumières dont la ville s'était parée ou sur les vitrines de
certains magasins élégamment décorées. Ces temps-ci les passants
étaient plus enclins que d'habitude à laisser tomber une pièce de
monnaie dans leur sébile, un billet même, parfois.
Tous
deux aimaient bien cette période et pas uniquement à cause du
regain de générosité des passants. Philomène s'attendrissait sur
la belle poupée aux longs cils, en vitrine qui allait incessamment
devenir l'héroïne d'une mignonne petite fille. Quant à François
il admirait avec envie les trains électriques qui tournaient
inlassablement sur leurs rails et dont l'un d'entre eux allait
bientôt faire la joie d'un gentil petit garçon. Tout cela les
ramenait à la réalité et leur faisait penser aux enfants qu'ils
auraient pu avoir eux aussi si la vie s'était montrée plus clémente
envers eux.
-
«Regarde François comme elle est belle, j'envie la petite fille qui
la recevra en cadeau pour Noël !
-
Et moi si tu savais comme j'aurais aimé avoir un train électrique,
j'en ai rêvé toute ma vie et j'en rêve encore. Crois-tu qu'il soit
raisonnable à mon âge et dans mon état de rêver encore à un
train électrique ?
-
Mais oui mon François, il n'y a pas d'âge pour les rêves !
Moi aussi tu
sais, j'imagine parfois que je vis une autre vie. Je suis une
marquise et nous vivons toi et moi, mon prince, dans un joli château
perché sur une colline. Depuis la tour médiévale nous pouvons de
loin voir arriver nos invités en calèches et en landaus. Nous
donnons de grands bals, nous invitons des troupes de danseurs, de
musiciens et de saltimbanques et le château est ouvert pour un soir
à tous les habitants du village que l'on accueille avec des
guirlandes de fleurs.
- Oui ma
princesse et nous faisons danser les plus humbles des manants
jusqu'au petit matin. Il y a des victuailles et des boissons à
volonté et je veille à ce que les verres ne restent jamais vides.
-
Il y a des cadeaux pour tout le monde et cette nuit là, aucun des
convives ne peux l'effacer de sa mémoire».
Au
même moment dans l'un des plus grands magasins de la ville, le
directeur de l'établissement très angoissé réunissait ses
commerciaux afin de régler un épineux problème :
Les
pères Noël n'étaient pas tous au rendez-vous, deux d'entre eux
avaient fait l'école buissonnière. Il fallait les remplacer de
toute urgence afin de ne pas décevoir les chères petites têtes
blondes qui aimaient tant être pris en photo en leur compagnie !
Cette
réunion de la dernière chance prenait un tour tragique car malgré
toutes les prospections réalisées ces derniers jours, plus aucun
père Noël n'était disponible, ni à Pôle Emploi ni sur les sites
dédiés !
La
voix de basse du directeur, chose inhabituelle, montait dans les
aigus tant était grande son irritation :
- «Mais
enfin mes amis il faut faire quelque chose, nous ne pouvons pas
priver les enfants de Père Noël à deux jours de la Nativité !
Je suis impatient d'entendre vos suggestions» !
Les
commerciaux penauds, fixaient leurs chaussures avec grande attention.
- «Alors,
c'est donc cela que vous apprenez à l'école de commerce ?
Creusez vous les méninges que diable et trouvez moi une solution».
Au
bout de cinq longues minutes qui parurent des siècles, Mademoiselle
Brigitte demanda la parole.
Sa
voix à peine perceptible trahissait sa fébrilité :
-
«Voila Monsieur, j'ai bien pensé à une solution de remplacement
mai je ne suis pas sure que cela vous plaise :
Il
y a régulièrement depuis plusieurs jours un couple de SDF qui
s'extasie devant nos superbes vitrines, ne pourrions nous pas leur
demander de bien vouloir jouer au Père et à la Mère Noël pendant
deux jours» ?
Les
profondes rides du front plissé du directeur s'estompèrent
progressivement et son rictus fit place à un sourire qui alla en
s'élargissant :
- «Mais
voilà une idée de génie ma petite Brigitte, vous ne pouviez pas le
dire plus tôt ? Savez vous où nous pouvons trouver nos
sauveurs ?
-
Ils squattent sous le pont de Garonne, je les vois chaque jour en
rentrant chez moi.
-
Eh bien allons-y mes amis, il n'y a pas une minute à perdre».
Et
la délégation de commerciaux, directeur de l'établissement en
tête, prit illico à pieds, la direction du pont de Garonne.
-
«Comme il s'agit d'une idée de Mademoiselle Brigitte, c'est elle et
elle seule qui mènera les négociations, précisa le Directeur».
-
«Bonjour Madame, bonjour Monsieur, belle journée n'est-ce pas ?
-
Bonjour M'dames, bonjour M'sieurs … euh … oui … c'est
pourquoi ?
-
Nous venons vous voir parce que Mademoiselle Brigitte ici présente a
une proposition à vous faire !
???
-
Madame, Monsieur, voila ce qui nous amène, seriez-vous d'accord pour
jouer au Père et à la Mère Noël ces deux prochains jours ?
???
-
Alors, qu'en pensez-vous ?
-
Qu'est-ce que tu en dis toi, mon François ? Pour moi, c'est
d'accord.
-
Et pour moi aussi pardieu c'est d'accord, c'est le genre de travail
dont j'ai toujours rêvé ! Rendre le sourires aux enfants
tristes en leur offrant toute la magie de Noël, mais oui bien sur
que je suis partant ! Quand commençons nous ?
-
Eh bien félicitations ma petite Brigitte, voila une négociation
rondement menée !
-
Quand commençons nous ? Mais tout de suite mes amis tout de
suite, les enfants vous attendent et ils sont impatients !
Tu
t'imagines ma Princesse, ton vieux François en Père Noël ? Ah
çà oui, nous allons les gâter les chers petits ; et avec ce
que nous gagnerons, nous allons pouvoir leur en offrir des poupées
et des trains électriques !!!