Aux
alentours de minuit,
Adrien un jeune
homme de vingt quatre ans erre en guenilles, pieds nus, dans un
quartier mal famé. Une zone dédiée aux trafics en tous genres,
armes, drogues, prostitution
où les petits
délinquants côtoient la pègre et le grand banditisme.
Comment passer
inaperçu quand chaque môme est un guetteur
quand des
dizaines de paires d'yeux scannent les alentours ?
Les vapeurs
d'alcool pas encore dissipées, il trébuche sur une bouteille de
bière,
Le vacarme sort
brutalement de son sommeil un chat endormi qui pousse un cri rauque
et bondit lui
frôlant le visage. Le vent agite une porte métallique qui grince et
la pluie se remet à tomber. Dans un rai de lumière il aperçoit des
rats en quête de nourriture.
Passant devant
une porte cochère il est happé par une vieille qui lui propose une
passe ...
Trop bu, trop
fatigué, une autre fois peut-être ?
La pluie
redouble d'intensité, ses vêtements lacérés sont trempés, il est
transi. Une chouette pousse un cri lugubre. Il sent autour de lui une
présence indéfinissable, toute une fraternité d'animaux nocturnes
à la recherche de sa pitance. Dans le lointain un chien insomniaque
hurle à la mort imité par toute une meute de congénères. Dans un
recoin sombre il devine une forme humaine tapie prête à bondir et
croit même voir le reflet de la lame d'un surin. Son cerveau embué
lui prescrit de changer de trottoir. Il trébuche une nouvelle fois
sur la cérame et se rattrape in extremis à un arbre.
Dans un éclair
de lucidité il se demande ce qu'il fait là et où il va. A quoi bon
continuer ? Un pont sur le fleuve lui offrira un abri salutaire
en attendant le jour ... et un esprit plus clair.
Mais c'est sans
compter sur la présence de trois clodos qui ne l'entendent pas de
cette oreille et qui tiennent avant tout à leur tranquillité. En
deux temps trois mouvements il est pris en chasse, invectivé, menacé
et manque de peu de tomber à l'eau en s'enfuyant, poursuivi par des
quolibets et des insultes. Marcher, marcher, marcher encore !
Dans un affreux gargouillis il vide subitement sa panse jusqu'à ce
que ses vomissures se transforment en jets liquides puants lui
donnant l'impression cracher son estomac. Il s'affale de tout son
long, à même le sol, trempé, vaincu et tremblant !
Mais qu'a-t-il
bien pu se passer ? Mémoire effacée, le vide sidéral, par
séquences il tente de se remémorer les heures précédentes, en
vain. Dans son environnement immédiat il distingue un banc défoncé
et dans un effort surhumain s'y hisse et tombe aussitôt dans les
bras de Morphée.
Le somme lui a
fait du bien et par bribes les souvenirs reviennent : la
violente dispute avec sa femme des mots que l'on n'a pas voulu dire
et qui néanmoins ont été prononcés, des mots vexatoires
qui lui ont
rappelé si besoin était sa situation de demandeur d'emploi et son
penchant pour les alcools forts et le jeu. Cette fois c'en est trop,
il sort de ses gonds, il la bouscule alors qu'il n'avait jamais levé
la main sur elle auparavant … ses mains serrent le cou frêle,
elles serrent de plus en plus fort, les paroles venimeuses se
transforment peu à peu en une sorte de râle, la résistance
s'apaise, le corps n'est plus que poupée de chiffon puis, plus
rien ! Sorti de son cauchemar il se demande ce qui lui a pris
comment il en est arrivé là mais les faits sont les faits : il
vient d'étrangler son épouse !!!
Affolé il
hurle : « Babette, Babette » mais Babette n'est
plus ! Il tente l'impossible, lui insuffle de l'air dans les
poumons, lui pratique des massages cardiaques mais il doit finalement
se rendre à l'évidence. Il pleure, il tourne en rond, il hurle son
désespoir puis son cerveau se met en pause, il sort de chez lui
pieds nus, les vêtements lacérés lors de la dispute, un sac à dos
contenant tous les alcools encore disponibles dans la maison.
Dernière image de cette soirée de cauchemar ! Si il ne peut se
rappeler la suite au moins peut-il l'imaginer, les bouteilles sont
vides … et comment est-il arrivé là ? Mystère.
Il sent
graduellement monter en lui la colère qui laisse rapidement place au
désespoir. Il pleure comme un enfant. Retourner chez lui, tout
avouer à la police ou enterrer le corps dans les bois et s'enfuir le
plus loin possible. En Australie, pourquoi pas, ce pays l'a toujours
fasciné ?
Une mauvaise
toux le surprend et le plie en deux lui fournissant une nouvelle
envie de vomir. Les premières lueurs de l'aube lui font découvrit
un petit matin blafard, la pluie a cessé de tomber, le quartier lui
paraît encore plus lugubre qu'en pleine nuit. Plus de bruits
suspects mais un silence oppressant, le brouillard par vagues
successives oblitère tout, il se fait l'effet d'une marionnette
désarticulée, il pleure depuis des heures mais ses larme se sont
taries.
Dans un moment
de lucidité il fait le bilan de sa vie : enfance et adolescence
sans problème, diplôme de commerce en poche il crée sa propre
entreprise et dans la foulée épouse Babette qu'il connaît depuis
toujours. La première année de mariage se passe comme dans un rêve
mais l'année suivante la liste de ses clients s'éclaircit
l'obligeant finalement à déposer le bilan. S'en suivent des jours
et des semaines à faire la tournée des bars, à faire quelques
tarots pour des mises minimes puis le poker prend le relais avec des
enjeux nettement plus importants, propices pourquoi pas, en cas de
gains, à un nouveau départ. Les mois passent les dernières
économies se sont évaporées. Babette de loin en loin tente de
briser ce cercle infernal, les disputes succèdent aux disputes qui
se font de plus en plus violentes … jusqu'à la dernière … hier
soir !!!
Comment
pourra-t-il continuer à vivre avec un aussi lourd fardeau sur les
épaules, la cellule d'une maison d'arrêt lui apportera-t-elle tôt
ou tard l'apaisement ou viendra-t-il d'un visiteur de prison qui lui
rendra progressivement espoir ? Non décidément ce n'est pas là
que réside la solution et en prison le manque d'alcool le tuera
aussi sûrement que si il se tirait une balle dans la tête !
Il en est là de
ses réflexions lorsqu'il voit émerger du brouillard cinq formes
fantasmagoriques tout droit sorties d'un roman d'épouvante, gueules
cassées, vêtues de vielles frusques qui l'encerclent
progressivement. Les commentaires vont bon train à propos de cet
intrus dans leur quartier … et les intrus, on n'aime pas çà !
Mais peut-être, malgré ses apparences, aurait-il quelques biens sur
lui ? Pendant que l'une de ces créatures cauchemardesques
l'invective, deux autres, par derrière l'immobilisent. Après une
fouille en règle sans avoir décelé quoi que ce soit d'intéressant,
la colère s'empare du groupe et les coups commencent à pleuvoir.
Adrien se protège comme il peut et lance même au hasard quelques
coups de poing mais très vite il comprend qu'il ne fera pas le poids
vis à vis de ces brutes. Il s'imagine un instant dans la peau de sa
Babette la veille et n'offre plus la moindre résistance espérant
bénéficier d'un traitement similaire. Il est maintenant à terre,
du sang coule de sa bouche et les coups de pieds redoublent de
violence, aucune partie de son corps n'est épargné. Il n'est
bientôt plus qu'un tas de chair et d'os. Puis l'un de ses agresseurs
le tire jusqu'au trottoir s'empare de sa tête et la cogne de toutes
ses forces contre l'arête de pierre … et la vie d'Adrien s'envole
à tout jamais de ce cloaque. Sa dernière pensée aura été pour
son épouse à laquelle il a offert en quelque sorte sa vie afin
d'expier sa faute.
Si vos passez
par le cimetière de son village où il est enterré aux côtés de
sa femme vous pourrez y voir un caveau abondamment fleuri et y lire
cet épitaphe : « A Babette et Adrien un couple aimant a
nouveau réuni après tant d'épreuves, pour l'éternité «
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