mercredi 12 octobre 2016



Aux alentours de minuit,

Adrien un jeune homme de vingt quatre ans erre en guenilles, pieds nus, dans un quartier mal famé. Une zone dédiée aux trafics en tous genres, armes, drogues, prostitution
où les petits délinquants côtoient la pègre et le grand banditisme.
Comment passer inaperçu quand chaque môme est un guetteur
quand des dizaines de paires d'yeux scannent les alentours ?
Les vapeurs d'alcool pas encore dissipées, il trébuche sur une bouteille de bière,
Le vacarme sort brutalement de son sommeil un chat endormi qui pousse un cri rauque
et bondit lui frôlant le visage. Le vent agite une porte métallique qui grince et la pluie se remet à tomber. Dans un rai de lumière il aperçoit des rats en quête de nourriture.
Passant devant une porte cochère il est happé par une vieille qui lui propose une passe ...
Trop bu, trop fatigué, une autre fois peut-être ?
La pluie redouble d'intensité, ses vêtements lacérés sont trempés, il est transi. Une chouette pousse un cri lugubre. Il sent autour de lui une présence indéfinissable, toute une fraternité d'animaux nocturnes à la recherche de sa pitance. Dans le lointain un chien insomniaque hurle à la mort imité par toute une meute de congénères. Dans un recoin sombre il devine une forme humaine tapie prête à bondir et croit même voir le reflet de la lame d'un surin. Son cerveau embué lui prescrit de changer de trottoir. Il trébuche une nouvelle fois sur la cérame et se rattrape in extremis à un arbre.
Dans un éclair de lucidité il se demande ce qu'il fait là et où il va. A quoi bon continuer ? Un pont sur le fleuve lui offrira un abri salutaire en attendant le jour ... et un esprit plus clair.
Mais c'est sans compter sur la présence de trois clodos qui ne l'entendent pas de cette oreille et qui tiennent avant tout à leur tranquillité. En deux temps trois mouvements il est pris en chasse, invectivé, menacé et manque de peu de tomber à l'eau en s'enfuyant, poursuivi par des quolibets et des insultes. Marcher, marcher, marcher encore ! Dans un affreux gargouillis il vide subitement sa panse jusqu'à ce que ses vomissures se transforment en jets liquides puants lui donnant l'impression cracher son estomac. Il s'affale de tout son long, à même le sol, trempé, vaincu et tremblant !
Mais qu'a-t-il bien pu se passer ? Mémoire effacée, le vide sidéral, par séquences il tente de se remémorer les heures précédentes, en vain. Dans son environnement immédiat il distingue un banc défoncé et dans un effort surhumain s'y hisse et tombe aussitôt dans les bras de Morphée.
Le somme lui a fait du bien et par bribes les souvenirs reviennent : la violente dispute avec sa femme des mots que l'on n'a pas voulu dire et qui néanmoins ont été prononcés, des mots vexatoires
qui lui ont rappelé si besoin était sa situation de demandeur d'emploi et son penchant pour les alcools forts et le jeu. Cette fois c'en est trop, il sort de ses gonds, il la bouscule alors qu'il n'avait jamais levé la main sur elle auparavant … ses mains serrent le cou frêle, elles serrent de plus en plus fort, les paroles venimeuses se transforment peu à peu en une sorte de râle, la résistance s'apaise, le corps n'est plus que poupée de chiffon puis, plus rien ! Sorti de son cauchemar il se demande ce qui lui a pris comment il en est arrivé là mais les faits sont les faits : il vient d'étrangler son épouse !!!
Affolé il hurle : « Babette, Babette » mais Babette n'est plus ! Il tente l'impossible, lui insuffle de l'air dans les poumons, lui pratique des massages cardiaques mais il doit finalement se rendre à l'évidence. Il pleure, il tourne en rond, il hurle son désespoir puis son cerveau se met en pause, il sort de chez lui pieds nus, les vêtements lacérés lors de la dispute, un sac à dos contenant tous les alcools encore disponibles dans la maison. Dernière image de cette soirée de cauchemar ! Si il ne peut se rappeler la suite au moins peut-il l'imaginer, les bouteilles sont vides … et comment est-il arrivé là ? Mystère.
Il sent graduellement monter en lui la colère qui laisse rapidement place au désespoir. Il pleure comme un enfant. Retourner chez lui, tout avouer à la police ou enterrer le corps dans les bois et s'enfuir le plus loin possible. En Australie, pourquoi pas, ce pays l'a toujours fasciné ?
Une mauvaise toux le surprend et le plie en deux lui fournissant une nouvelle envie de vomir. Les premières lueurs de l'aube lui font découvrit un petit matin blafard, la pluie a cessé de tomber, le quartier lui paraît encore plus lugubre qu'en pleine nuit. Plus de bruits suspects mais un silence oppressant, le brouillard par vagues successives oblitère tout, il se fait l'effet d'une marionnette désarticulée, il pleure depuis des heures mais ses larme se sont taries.
Dans un moment de lucidité il fait le bilan de sa vie : enfance et adolescence sans problème, diplôme de commerce en poche il crée sa propre entreprise et dans la foulée épouse Babette qu'il connaît depuis toujours. La première année de mariage se passe comme dans un rêve mais l'année suivante la liste de ses clients s'éclaircit l'obligeant finalement à déposer le bilan. S'en suivent des jours et des semaines à faire la tournée des bars, à faire quelques tarots pour des mises minimes puis le poker prend le relais avec des enjeux nettement plus importants, propices pourquoi pas, en cas de gains, à un nouveau départ. Les mois passent les dernières économies se sont évaporées. Babette de loin en loin tente de briser ce cercle infernal, les disputes succèdent aux disputes qui se font de plus en plus violentes … jusqu'à la dernière … hier soir !!!
Comment pourra-t-il continuer à vivre avec un aussi lourd fardeau sur les épaules, la cellule d'une maison d'arrêt lui apportera-t-elle tôt ou tard l'apaisement ou viendra-t-il d'un visiteur de prison qui lui rendra progressivement espoir ? Non décidément ce n'est pas là que réside la solution et en prison le manque d'alcool le tuera aussi sûrement que si il se tirait une balle dans la tête !
Il en est là de ses réflexions lorsqu'il voit émerger du brouillard cinq formes fantasmagoriques tout droit sorties d'un roman d'épouvante, gueules cassées, vêtues de vielles frusques qui l'encerclent progressivement. Les commentaires vont bon train à propos de cet intrus dans leur quartier … et les intrus, on n'aime pas çà ! Mais peut-être, malgré ses apparences, aurait-il quelques biens sur lui ? Pendant que l'une de ces créatures cauchemardesques l'invective, deux autres, par derrière l'immobilisent. Après une fouille en règle sans avoir décelé quoi que ce soit d'intéressant, la colère s'empare du groupe et les coups commencent à pleuvoir. Adrien se protège comme il peut et lance même au hasard quelques coups de poing mais très vite il comprend qu'il ne fera pas le poids vis à vis de ces brutes. Il s'imagine un instant dans la peau de sa Babette la veille et n'offre plus la moindre résistance espérant bénéficier d'un traitement similaire. Il est maintenant à terre, du sang coule de sa bouche et les coups de pieds redoublent de violence, aucune partie de son corps n'est épargné. Il n'est bientôt plus qu'un tas de chair et d'os. Puis l'un de ses agresseurs le tire jusqu'au trottoir s'empare de sa tête et la cogne de toutes ses forces contre l'arête de pierre … et la vie d'Adrien s'envole à tout jamais de ce cloaque. Sa dernière pensée aura été pour son épouse à laquelle il a offert en quelque sorte sa vie afin d'expier sa faute.
Si vos passez par le cimetière de son village où il est enterré aux côtés de sa femme vous pourrez y voir un caveau abondamment fleuri et y lire cet épitaphe : « A Babette et Adrien un couple aimant a nouveau réuni après tant d'épreuves, pour l'éternité « 











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