lundi 1 mai 2017



Arnaud et Séraphin,

Arnaud adolescent de quatorze ans vit à la ferme familiale. L'école n'est pas son fort et il passe beaucoup de temps à courir les bois, à capturer des lièvres au collet ou à piéger les vanneaux.
Son épagneul breton, Hector, l'accompagne dans toutes ses escapades et ces deux-là s'entendent comme larrons en foire. Le seul travail qu'il effectue à la ferme consiste à donner à manger aux lapins. Il passe parfois des heures à les observer dans leur cage et tente en vain de communiquer avec eux. Le soir sa maman Elizabeth lui demande, plus par acquis de conscience que par conviction, s’il a fait ses devoirs pour le lendemain, mais bien que la réponse soit toujours affirmative elle sait très bien qu'il n'a ouvert ni un livre ni même un cahier ! Cette situation la désespère car elle se demande bien ce qu'elle va faire de son fiston. Son mari Jean-René lui semble trop coulant avec leur fils. En fait il voit un peu en lui l'adolescent qu'il était lui-même à son âge et se dit que l'on peut devenir un agriculteur performant sans avoir fait de très longues études. Il pense tout simplement que lorsque son garçon aura un peu mûri, il viendra de lui-même, l'épauler à la ferme. Alors pour le moment il le laisse vivre sa vie comme il l'entend.
Au lycée sa haute taille et sa débrouillardise en imposent à ses camarades ce qui l'a promu presque à son corps défendant, chef de clan.
Il n'est pas rare que des bagarres éclatent entre le sien baptisé « les ninjas noires » et le clan des « Raphin's boys » à la tête duquel fanfaronne un jeune effronté sans foi ni loi prénommé ... Séraphin.
Un regard trop appuyé ou jugé insultant, et les manœuvres d'intimidation laissent vite place à la castagne. Cela se passe généralement au fond de la cour, là où se trouvent les toilettes où l'on va en « griller une » en toute discrétion à la récré.
Les filles ne sont pas en reste et ce sont souvent elles qui sont à l'origine des affrontements. Certaines sont particulièrement provocantes et éprouvent un malin plaisir à faire monter la pression.
Des alliances momentanées les conduisent dans un clan ou dans l'autre, mais chez les « Raphin's » il y a Nadia qui elle ne changerait de camp pour rien au monde. Elle considère Arnaud et les siens comme des péquenots tout juste bons à garder des chèvres, très peu pour elle, fille de la ville qui a une très haute opinion de sa petite personne ! Son mépris pour les « ninjas noires » est à la hauteur de son comportement et de ses airs supérieurs et c'est souvent elle qui est l'initiatrice des incidents qui émaillent leur vie scolaire. Avec Séraphin son amoureux, ils forment un petit couple qui fait l'admiration des membres de leur clan et la détestation des membres du clan adverse.
Parfois les deux clans sont tellement remontés que les bagarres se poursuivent à l'extérieur de l'établissement ... et les poings ne suffisant plus, certains parmi les « Raphin's » se sont munis de couteaux.
Ce qui devait arriver arriva, et un soir lors d'un échange plus violent que d'habitude à l'extérieur du lycée, Arnaud a été poignardé !
Heureusement son jeune âge et sa résistance physique lui permettent après une semaine d'hospitalisation de rentrer chez lui et d'entamer une convalescence d'un mois avant de reprendre ses études.
Une enquête policière désigne sans appel le responsable : il s'agit de Séraphin qui est aussitôt expulsé du collège et qui écope de deux mois de travaux d'intérêt général à la commune.
Au lycée l'atmosphère a totalement changé, les deux clans ont fusionné et Arnaud, qui est maintenant considéré comme un héros, n'a aucun mal à faire régner l'ordre parmi ses ouailles.
Il a de plus revêtu la responsabilité de représentant de la classe auprès du corps enseignant et ses interventions très remarquées pour défendre ses condisciples font même l'admiration de certains professeurs. Certains voient en lui un futur meneur d'hommes, voire un futur capitaine d'industrie.
Les années passent et pendant qu'Arnaud obtient son baccalauréat, Séraphin se fait remarquer encore et toujours par ses actes de petite délinquance qui lui permettent de vivoter : vols en grandes surfaces et arnaque aux cartes de crédit, entre autres.
A l'issue de son expulsion du lycée aucun autre établissement n'a souhaité l'accueillir et comme ses parents adoptifs, eux-mêmes accros aux drogues dures, se désintéressent de son sort, il vit dans un squat qu'il partage avec un autre adolescent perdu. Pour le moment les gendarmes ne se sont contentés que de mises en garde, alors les deux compères s'enhardissent et franchissent une étape supérieure. Les téléphones volés leur permettent d'obtenir des noms, des adresses, des photos et des vidéos, et il faut dire que certaines sont plus qu'indécentes. Leur stratégie consiste donc à faire chanter leurs auteurs, ce qui leur procure des sommes rondelettes qui leur font envisager l'avenir sous de meilleurs auspices. En quelques semaines leur petit commerce est devenu florissant, alors ils diversifient leurs petits trafics et se procurent par internet les instruments électroniques qui les amèneront au stade suivant : le vol de voitures de luxe.
La première est un véhicule tous terrains Porsche Cayenne qu'ils livrent à un garagiste ayant pignon sur rue mais qui s'est spécialisé, en travail nocturne, dans le maquillage de véhicules volés afin de les acheminer ensuite vers certains pays demandeurs, tels la Roumanie, la Bulgarie ou plus au sud vers les pays du Maghreb.
Les deux compères se sont fabriqués des permis de conduire très réalistes et Séraphin s'est attribué la responsabilité des livraisons.
Le panel européen des immatriculations automobiles lui permet de traverser l'Europe en toute impunité et le trafic s'avère très vite extrêmement lucratif.
Mais évidemment Séraphin comme tous les délinquants, n'en a jamais assez. Alors pour obtenir d'autres substantielles rentrées d'argent il met au point un ingénieux système : plutôt que de revenir en France seul, il revient avec un fourgon acheté sur place, chargé d'une dizaine de clandestins. Les postulants sont nombreux et à raison de trois mille euros par personne, l'achat du fourgon est très vite rentabilisé. Une autre variante notamment lorsqu'il revient du Maroc, consiste à faire rentrer en France quelques kilos de cannabis habilement dissimulés dans les endroits du véhicule les plus inattendus. Les « colis » sont enveloppés de films plastiques traités afin de tromper le flaire des chiens dressés à la recherche de la drogue.
Son commerce tourne maintenant à plein régime et son acolyte spécialisé dans le vol de véhicule a du embaucher quelqu'un afin de faire face à la demande.
Leur expérience acquise sur le tas en un temps record n'est pas toujours vue d'un très bon œil par certains de leurs concurrents, mais Séraphin en fin stratège, maîtrise à la perfection ces accès sporadiques de colère ou de jalousie en distribuant çà et là quelques liasses qui calment temporairement les velléités de leurs tourmenteurs. Des alliances éphémères se créent aussi parfois pour calmer les esprits mais Séraphin, globalement, reste fidèle à son partenaire de toujours.
Il a parfois à faire à des personnes « indélicates » qui auraient tendance à le payer en billets de singes par exemple, mais il est suffisamment intelligent et rusé pour déjouer tous les pièges. Ces tentatives se soldent le plus souvent pour le contrevenant par des problèmes divers et variés dont il a beaucoup de peine à cerner les origines !
Pendant ce temps Arnaud a opté pour le métier de policier. Il vient d'achever ses études d'inspecteur de police, et est affecté non loin de chez lui dans une ville moyenne. Il pratique pour l'heure des enquêtes de routine qui ne le passionnent pas vraiment.
Des déclarations récurrentes de véhicules de grand standing volés attirent son attention, et son supérieur hiérarchique lui donne carte blanche pour remonter les filières. Il se rend compte rapidement que ces véhicules correspondent essentiellement à deux marques spécifiques : Porsche et BMW et que les déclarations de vol sont concentrées dans un rayon d'une centaine de kilomètres.
Il étudie les système d'ouverture de ces deux types de véhicules et découvre que des boîtiers électroniques à recherche quasi-instantanée de fréquence, vendus cent cinquante euros sur internet, sont susceptibles de les ouvrir rapidement à distance, sans dommage.
Après avoir pris connaissance des sites sur lesquels il est possible de se procurer un tel article, il intime l'ordre aux différents vendeurs de lui fournir la liste des adresses internet auxquelles ils ont été livrés, sur une période de deux ans.
L'étude de ces adresses est fastidieuse tant elles sont nombreuses, en France et en Europe, pour lui ainsi que pour son inspecteur stagiaire mais après plusieurs jours de recherche ils tombent sur une adresse comportant le mot Raphin. Arnaud n'a pas oublié le nom de son agresseur de naguère et il se dit qu'il pourrait très bien y avoir un lien de cause à effet entre cette adresse et le Séraphin qu'il a côtoyé au lycée.
Son enquête se poursuit dans les squats de la région mais sans résultat car Séraphin a depuis longtemps abandonné ces lieux sordides pour se loger dans des endroits mieux adaptés à son nouveau standing. En fait il loue grassement et toujours en argent liquide, de modestes villas le plus souvent isolées pour des durées limitées en prenant bien soin de ne laisser aucune trace de ses déménagements successifs. Le fruit de ses butins est réparti entre l'étranger et une cache inviolable dans une maison forestière où il jouait pendant son enfance.
Arnaud à partir d'une des dernières photos de classe du lycée et à l'aide d'un logiciel adapté est maintenant en possession d'un portrait de Séraphin vieilli de dix ans, portrait qu'il montre aux délinquants alentours sans résultats probants. Certains pourraient avoir croisé son chemin par le passé, mais aucun ne peut le situer à l'heure qu'il est de façon précise ; néanmoins l'un d'eux lâche le pseudo de son ancien associé : il s'agit d'un certain « Bernie » avec qui Séraphin faisait équipe plusieurs années auparavant dans la pratique de petits larcins.
Logiquement ce diminutif devrait s'appliquer à des personnes nommées Bernard, Bertrand, Benoît ou Benjamin. En fouillant dans sa mémoire Arnaud se souvient que l'un des élèves d'une autre classe de quatrième de son lycée s'appelait Bernard. Les recherches dans l'établissement scolaire font apparaître qu'un certain Bernard Malville en possession d'un couteau à cran d'arrêt a été renvoyé du lycée sensiblement à la même époque que Séraphin. Il est un peu tôt pour crier victoire, mais pour le moment cet indice met un peu de baume au cœur d'Arnaud.
Il se procure les photos de sa classe et par le truchement du même logiciel parvient à obtenir le portrait de Bernie dix ans plus vieux, une nouvelle tournée parmi les délinquants lui permet enfin de situer Bernie qui pour le moment du moins n'est connu des services de police que pour des méfaits mineurs.
Il loge en banlieue dans une vieille maison mal entretenue cernée par un jardin en friche.
Arnaud organise une planque discrète. Une semaine se passe sans que Bernie ne donne signe de vie, puis une nuit vers deux heures du matin un gros véhicule fait son entrée et contourne la vieille demeure.
Avec une équipe appelée en renfort, Arnaud cerne les lieux et s'y introduit à la pointe du jour.
Bernie est arrêté, le SUV BMW est saisi, le propriétaire du véhicule identifié. Il ne s'était pas encore rendu compte de la disparition de son véhicule.
La cave de la maison est une véritable caverne d'Ali Baba où les policiers trouvent un bric-à-brac hétéroclite où des téléphones portables côtoient des ordinateurs, des jeux vidéos, des appareils photo, des caméscopes, des tableaux, des sculptures, des étains, des candélabres etc... etc...
Dans les locaux de la police, Bernie est muet comme une carpe. L'étude approfondie de ses téléphones permet de découvrir quelques numéros identifiés par des initiales … sauf un !
La poursuite de l'interrogatoire laisse supposer que si Bernie ne parle pas c'est essentiellement parce qu'il tient à sa vie, la peur se lit sur son visage, il est comme une bête traquée. On peut imaginer le sort qui lui serait réservé s'il donnait le nom ou les noms de ses complices.
L'un des ordinateurs révèle la transaction faite quelques années auparavant pour l'obtention du matériel susceptible d'ouvrir les véhicules Porsche et BMW à distance.
Le numéro de téléphone non identifié est mis sur écoute, quarante-huit heures plus tard un bref appel permet de le situer à Blida à quarante kilomètres d'Alger ... puis plus rien. Séraphin se doute-t-il de quelque chose ? La police maritime, la police de l'air et des frontière sont alertées et reçoivent des instructions détaillées avec portrait à l'appui de Séraphin. L'étau se resserre !
La police grâce aux numéros de téléphone a identifié un autre suspect pouvant avoir travaillé avec Bernie : il s'agit de « Jimmy », de son vrai nom Jean Lemaître qui est arrêté à son domicile et qui confirme venir en aide épisodiquement à Bernie pour lui assurer ses arrières pendant les vols de véhicules. Apparemment il ne s'agit qu'un d'un subalterne qui n'a pas été mis dans la confidence.
Les jours passent sans nouvelles de Séraphin. D'autres interrogatoires de Bernie ne permettent pas, tout comme les précédents, de se faire une idée exacte de l'ampleur du trafic réalisé avec son acolyte.
Deux mois après cet épisode, Séraphin est enfin interpellé à Cerbère. Il rentre en France en provenance du Maroc, via l'Espagne, seul au volant d'un Citroën Picasso. Le véhicule est entièrement démonté et révèle la présence de cent kilogrammes de cannabis répartis dans les portières dans le tableau de bord et sous un faux plancher !
Le lendemain de son arrivée il est interrogé par Arnaud son condisciple du lycée, lui aussi demeure muet mais pas pour les mêmes raisons que Bernie.
Son téléphone en dit long aux policiers chargés de le faire parler. Il révèle des séjours dans un grand nombre de pays européens et africains dont on contacte les polices locales afin de recouper les informations sur le trafic de véhicule de luxe. Il s'avère qu'en Roumanie la police a joué de mal chance il y a six mois. Un individu suspecté d'effectuer ce genre de trafic leur a filé entre les doigts. Parallèlement ils étaient aussi sur une enquête concernant le transport de clandestins et pensent que les deux affaires pourraient avoir un lien commun.
Les numéros de téléphone contenus dans le répertoire de Séraphin sont passés au crible et douze de ses correspondants sont arrêtés dans différents pays dont le garagiste français qui maquillait les véhicules avant leur départ pour l'étranger. Tous étaient liés soit au trafic de véhicules, soit au trafic de clandestins ou de drogue. Le cloisonnement entre ces différentes opérations avait été jusque-là un gage de sécurité pour Séraphin, mais le point faible avait été finalement ce modeste instrument qui peut, si l'on sait bien s'y prendre, raconter beaucoup beaucoup de choses !
Dix ans après la rixe au couteau les destins d'Arnaud et de Séraphin se sont à nouveau croisés. Pour Arnaud il ne s'agit aucunement d'une revanche mais de la satisfaction du devoir accompli.
Quant à Séraphin il aura tout loisir pendant les dix prochaines années de méditer sur la trahison de ces outils hautement sophistiqués que sont les téléphones portables !

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