Arnaud
et Séraphin,
Arnaud
adolescent de quatorze ans vit à la ferme familiale. L'école n'est
pas son fort et il passe beaucoup de temps à courir les bois, à
capturer des lièvres au collet ou à piéger les vanneaux.
Son
épagneul breton, Hector, l'accompagne dans toutes ses escapades et
ces deux-là s'entendent comme larrons en foire. Le seul travail
qu'il effectue à la ferme consiste à donner à manger aux lapins.
Il passe parfois des heures à les observer dans leur cage et tente
en vain de communiquer avec eux. Le soir sa maman Elizabeth lui
demande, plus par acquis de conscience que par conviction, s’il a
fait ses devoirs pour le lendemain, mais bien que la réponse soit
toujours affirmative elle sait très bien qu'il n'a ouvert ni un
livre ni même un cahier ! Cette situation la désespère car
elle se demande bien ce qu'elle va faire de son fiston. Son mari
Jean-René lui semble trop coulant avec leur fils. En fait il voit un
peu en lui l'adolescent qu'il était lui-même à son âge et se dit
que l'on peut devenir un agriculteur performant sans avoir fait de
très longues études. Il pense tout simplement que lorsque son
garçon aura un peu mûri, il viendra de lui-même, l'épauler à la
ferme. Alors pour le moment il le laisse vivre sa vie comme il
l'entend.
Au
lycée sa haute taille et sa débrouillardise en imposent à ses
camarades ce qui l'a promu presque à son corps défendant, chef de
clan.
Il
n'est pas rare que des bagarres éclatent entre le sien baptisé
« les ninjas noires » et le clan des « Raphin's
boys » à la tête duquel fanfaronne un jeune effronté sans
foi ni loi prénommé ... Séraphin.
Un
regard trop appuyé ou jugé insultant, et les manœuvres
d'intimidation laissent vite place à la castagne. Cela se passe
généralement au fond de la cour, là où se trouvent les toilettes
où l'on va en « griller une » en toute discrétion à la
récré.
Les
filles ne sont pas en reste et ce sont souvent elles qui sont à
l'origine des affrontements. Certaines sont particulièrement
provocantes et éprouvent un malin plaisir à faire monter la
pression.
Des
alliances momentanées les conduisent dans un clan ou dans l'autre,
mais chez les « Raphin's » il y a Nadia qui elle ne
changerait de camp pour rien au monde. Elle considère Arnaud et les
siens comme des péquenots tout juste bons à garder des chèvres,
très peu pour elle, fille de la ville qui a une très haute opinion
de sa petite personne ! Son mépris pour les « ninjas noires
» est à la hauteur de son comportement et de ses airs supérieurs
et c'est souvent elle qui est l'initiatrice des incidents qui
émaillent leur vie scolaire. Avec Séraphin son amoureux, ils
forment un petit couple qui fait l'admiration des membres de leur
clan et la détestation des membres du clan adverse.
Parfois
les deux clans sont tellement remontés que les bagarres se
poursuivent à l'extérieur de l'établissement ... et les poings ne
suffisant plus, certains parmi les « Raphin's » se sont
munis de couteaux.
Ce
qui devait arriver arriva, et un soir lors d'un échange plus violent
que d'habitude à l'extérieur du lycée, Arnaud a été poignardé !
Heureusement
son jeune âge et sa résistance physique lui permettent après une
semaine d'hospitalisation de rentrer chez lui et d'entamer une
convalescence d'un mois avant de reprendre ses études.
Une
enquête policière désigne sans appel le responsable : il
s'agit de Séraphin qui est aussitôt expulsé du collège et qui
écope de deux mois de travaux d'intérêt général à la commune.
Au
lycée l'atmosphère a totalement changé, les deux clans ont
fusionné et Arnaud, qui est maintenant considéré comme un héros,
n'a aucun mal à faire régner l'ordre parmi ses ouailles.
Il
a de plus revêtu la responsabilité de représentant de la classe
auprès du corps enseignant et ses interventions très remarquées
pour défendre ses condisciples font même l'admiration de certains
professeurs. Certains voient en lui un futur meneur d'hommes, voire
un futur capitaine d'industrie.
Les
années passent et pendant qu'Arnaud obtient son baccalauréat,
Séraphin se fait remarquer encore et toujours par ses actes de
petite délinquance qui lui permettent de vivoter : vols en
grandes surfaces et arnaque aux cartes de crédit, entre autres.
A
l'issue de son expulsion du lycée aucun autre établissement n'a
souhaité l'accueillir et comme ses parents adoptifs, eux-mêmes
accros aux drogues dures, se désintéressent de son sort, il vit
dans un squat qu'il partage avec un autre adolescent perdu. Pour le
moment les gendarmes ne se sont contentés que de mises en garde,
alors les deux compères s'enhardissent et franchissent une étape
supérieure. Les téléphones volés leur permettent d'obtenir des
noms, des adresses, des photos et des vidéos, et il faut dire que
certaines sont plus qu'indécentes. Leur stratégie consiste donc à
faire chanter leurs auteurs, ce qui leur procure des sommes
rondelettes qui leur font envisager l'avenir sous de meilleurs
auspices. En quelques semaines leur petit commerce est devenu
florissant, alors ils diversifient leurs petits trafics et se
procurent par internet les instruments électroniques qui les
amèneront au stade suivant : le vol de voitures de luxe.
La
première est un véhicule tous terrains Porsche Cayenne qu'ils
livrent à un garagiste ayant pignon sur rue mais qui s'est
spécialisé, en travail nocturne, dans le maquillage de véhicules
volés afin de les acheminer ensuite vers certains pays demandeurs,
tels la Roumanie, la Bulgarie ou plus au sud vers les pays du
Maghreb.
Les
deux compères se sont fabriqués des permis de conduire très
réalistes et Séraphin s'est attribué la responsabilité des
livraisons.
Le
panel européen des immatriculations automobiles lui permet de
traverser l'Europe en toute impunité et le trafic s'avère très
vite extrêmement lucratif.
Mais
évidemment Séraphin comme tous les délinquants, n'en a jamais
assez. Alors pour obtenir d'autres substantielles rentrées d'argent
il met au point un ingénieux système : plutôt que de revenir
en France seul, il revient avec un fourgon acheté sur place, chargé
d'une dizaine de clandestins. Les postulants sont nombreux et à
raison de trois mille euros par personne, l'achat du fourgon est très
vite rentabilisé. Une autre variante notamment lorsqu'il revient du
Maroc, consiste à faire rentrer en France quelques kilos de cannabis
habilement dissimulés dans les endroits du véhicule les plus
inattendus. Les « colis » sont enveloppés de films
plastiques traités afin de tromper le flaire des chiens dressés à
la recherche de la drogue.
Son
commerce tourne maintenant à plein régime et son acolyte spécialisé
dans le vol de véhicule a du embaucher quelqu'un afin de faire face
à la demande.
Leur
expérience acquise sur le tas en un temps record n'est pas toujours
vue d'un très bon œil par certains de leurs concurrents, mais
Séraphin en fin stratège, maîtrise à la perfection ces accès
sporadiques de colère ou de jalousie en distribuant çà et là
quelques liasses qui calment temporairement les velléités de leurs
tourmenteurs. Des alliances éphémères se créent aussi parfois
pour calmer les esprits mais Séraphin, globalement, reste fidèle à
son partenaire de toujours.
Il
a parfois à faire à des personnes « indélicates » qui
auraient tendance à le payer en billets de singes par exemple, mais
il est suffisamment intelligent et rusé pour déjouer tous les
pièges. Ces tentatives se soldent le plus souvent pour le
contrevenant par des problèmes divers et variés dont il a beaucoup
de peine à cerner les origines !
Pendant
ce temps Arnaud a opté pour le métier de policier. Il vient
d'achever ses études d'inspecteur de police, et est affecté non
loin de chez lui dans une ville moyenne. Il pratique pour l'heure des
enquêtes de routine qui ne le passionnent pas vraiment.
Des
déclarations récurrentes de véhicules de grand standing volés
attirent son attention, et son supérieur hiérarchique lui donne
carte blanche pour remonter les filières. Il se rend compte
rapidement que ces véhicules correspondent essentiellement à deux
marques spécifiques : Porsche et BMW et que les déclarations
de vol sont concentrées dans un rayon d'une centaine de kilomètres.
Il
étudie les système d'ouverture de ces deux types de véhicules et
découvre que des boîtiers électroniques à recherche
quasi-instantanée de fréquence, vendus cent cinquante euros sur
internet, sont susceptibles de les ouvrir rapidement à distance,
sans dommage.
Après
avoir pris connaissance des sites sur lesquels il est possible de se
procurer un tel article, il intime l'ordre aux différents vendeurs
de lui fournir la liste des adresses internet auxquelles ils ont été
livrés, sur une période de deux ans.
L'étude
de ces adresses est fastidieuse tant elles sont nombreuses, en France
et en Europe, pour lui ainsi que pour son inspecteur stagiaire mais
après plusieurs jours de recherche ils tombent sur une adresse
comportant le mot Raphin. Arnaud n'a pas oublié le nom de son
agresseur de naguère et il se dit qu'il pourrait très bien y avoir
un lien de cause à effet entre cette adresse et le Séraphin qu'il a
côtoyé au lycée.
Son
enquête se poursuit dans les squats de la région mais sans résultat
car Séraphin a depuis longtemps abandonné ces lieux sordides pour
se loger dans des endroits mieux adaptés à son nouveau standing. En
fait il loue grassement et toujours en argent liquide, de modestes
villas le plus souvent isolées pour des durées limitées en prenant
bien soin de ne laisser aucune trace de ses déménagements
successifs. Le fruit de ses butins est réparti entre l'étranger et
une cache inviolable dans une maison forestière où il jouait
pendant son enfance.
Arnaud
à partir d'une des dernières photos de classe du lycée et à
l'aide d'un logiciel adapté est maintenant en possession d'un
portrait de Séraphin vieilli de dix ans, portrait qu'il montre aux
délinquants alentours sans résultats probants. Certains pourraient
avoir croisé son chemin par le passé, mais aucun ne peut le situer
à l'heure qu'il est de façon précise ; néanmoins l'un d'eux
lâche le pseudo de son ancien associé : il s'agit d'un certain
« Bernie » avec qui Séraphin faisait équipe plusieurs
années auparavant dans la pratique de petits larcins.
Logiquement
ce diminutif devrait s'appliquer à des personnes nommées Bernard,
Bertrand, Benoît ou Benjamin. En fouillant dans sa mémoire Arnaud
se souvient que l'un des élèves d'une autre classe de quatrième de
son lycée s'appelait Bernard. Les recherches dans l'établissement
scolaire font apparaître qu'un certain Bernard Malville en
possession d'un couteau à cran d'arrêt a été renvoyé du lycée
sensiblement à la même époque que Séraphin. Il est un peu tôt
pour crier victoire, mais pour le moment cet indice met un peu de
baume au cœur d'Arnaud.
Il
se procure les photos de sa classe et par le truchement du même
logiciel parvient à obtenir le portrait de Bernie dix ans plus
vieux, une nouvelle tournée parmi les délinquants lui permet enfin
de situer Bernie qui pour le moment du moins n'est connu des services
de police que pour des méfaits mineurs.
Il
loge en banlieue dans une vieille maison mal entretenue cernée par
un jardin en friche.
Arnaud
organise une planque discrète. Une semaine se passe sans que Bernie
ne donne signe de vie, puis une nuit vers deux heures du matin un
gros véhicule fait son entrée et contourne la vieille demeure.
Avec
une équipe appelée en renfort, Arnaud cerne les lieux et s'y
introduit à la pointe du jour.
Bernie
est arrêté, le SUV BMW est saisi, le propriétaire du véhicule
identifié. Il ne s'était pas encore rendu compte de la disparition
de son véhicule.
La
cave de la maison est une véritable caverne d'Ali Baba où les
policiers trouvent un bric-à-brac hétéroclite où des téléphones
portables côtoient des ordinateurs, des jeux vidéos, des appareils
photo, des caméscopes, des tableaux, des sculptures, des étains,
des candélabres etc... etc...
Dans
les locaux de la police, Bernie est muet comme une carpe. L'étude
approfondie de ses téléphones permet de découvrir quelques numéros
identifiés par des initiales … sauf un !
La
poursuite de l'interrogatoire laisse supposer que si Bernie ne parle
pas c'est essentiellement parce qu'il tient à sa vie, la peur se lit
sur son visage, il est comme une bête traquée. On peut imaginer le
sort qui lui serait réservé s'il donnait le nom ou les noms de ses
complices.
L'un
des ordinateurs révèle la transaction faite quelques années
auparavant pour l'obtention du matériel susceptible d'ouvrir les
véhicules Porsche et BMW à distance.
Le
numéro de téléphone non identifié est mis sur écoute,
quarante-huit heures plus tard un bref appel permet de le situer à
Blida à quarante kilomètres d'Alger ... puis plus rien. Séraphin
se doute-t-il de quelque chose ? La police maritime, la police
de l'air et des frontière sont alertées et reçoivent des
instructions détaillées avec portrait à l'appui de Séraphin.
L'étau se resserre !
La
police grâce aux numéros de téléphone a identifié un autre
suspect pouvant avoir travaillé avec Bernie : il s'agit de
« Jimmy », de son vrai nom Jean Lemaître qui est arrêté
à son domicile et qui confirme venir en aide épisodiquement à
Bernie pour lui assurer ses arrières pendant les vols de véhicules.
Apparemment il ne s'agit qu'un d'un subalterne qui n'a pas été mis
dans la confidence.
Les
jours passent sans nouvelles de Séraphin. D'autres interrogatoires
de Bernie ne permettent pas, tout comme les précédents, de se faire
une idée exacte de l'ampleur du trafic réalisé avec son acolyte.
Deux
mois après cet épisode, Séraphin est enfin interpellé à Cerbère.
Il rentre en France en provenance du Maroc, via l'Espagne, seul au
volant d'un Citroën Picasso. Le véhicule est entièrement démonté
et révèle la présence de cent kilogrammes de cannabis répartis
dans les portières dans le tableau de bord et sous un faux
plancher !
Le
lendemain de son arrivée il est interrogé par Arnaud son
condisciple du lycée, lui aussi demeure muet mais pas pour les mêmes
raisons que Bernie.
Son
téléphone en dit long aux policiers chargés de le faire parler. Il
révèle des séjours dans un grand nombre de pays européens et
africains dont on contacte les polices locales afin de recouper les
informations sur le trafic de véhicule de luxe. Il s'avère qu'en
Roumanie la police a joué de mal chance il y a six mois. Un individu
suspecté d'effectuer ce genre de trafic leur a filé entre les
doigts. Parallèlement ils étaient aussi sur une enquête concernant
le transport de clandestins et pensent que les deux affaires
pourraient avoir un lien commun.
Les
numéros de téléphone contenus dans le répertoire de Séraphin
sont passés au crible et douze de ses correspondants sont arrêtés
dans différents pays dont le garagiste français qui maquillait les
véhicules avant leur départ pour l'étranger. Tous étaient liés
soit au trafic de véhicules, soit au trafic de clandestins ou de
drogue. Le cloisonnement entre ces différentes opérations avait été
jusque-là un gage de sécurité pour Séraphin, mais le point faible
avait été finalement ce modeste instrument qui peut, si l'on sait
bien s'y prendre, raconter beaucoup beaucoup de choses !
Dix
ans après la rixe au couteau les destins d'Arnaud et de Séraphin se
sont à nouveau croisés. Pour Arnaud il ne s'agit aucunement d'une
revanche mais de la satisfaction du devoir accompli.
Quant
à Séraphin il aura tout loisir pendant les dix prochaines années
de méditer sur la trahison de ces outils hautement sophistiqués que
sont les téléphones portables !
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